Us, the "Swiss Army knife"

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L’onde de déversement de la rentrée littéraire venant s’entrechoquer contre celle d’un mouvement social grandissant (en France d’où je parle), je voulais évoquer ici une problématique que j’ai d’abord observé être soulevée dans les milieux transféministes, et être reprise ce mois-ci dans des médias disons mainstream. Cette problématique des auteurices féministes/queer/publiquement engagé.e.s contre l’extrême-droite, et qui pourtant se font publier par des maisons d’édition appartenant à des groupes de l’ultraconservatisme.
En réalité je trouve ça très bien que ce sujet soit mis sur la table, un peu partout ; ça démontre que l’artiste a toujours un poids dans cette société.
Tout d’abord certains faits : l’État n’est pas – ou plus – mécène des artistes. On est livré à nous-même avec nos putains de rêves pour ce monde, dans un système qui – ne sachant pas comment nous mâcher pour nous digérer dans son capitalisme grossier – préfère nous passer au casse-noix. Donc : aucun statut + oublions les droits sociaux + bonjour les milieux élitistes subordonnés au marché. Il faut savoir que 3.4% of artist-authors account for 48% of artistic income (merci Jimmy Cintero du SNAP pour l’info). Pour te donner une échelle si ce chiffre ne te semble pas déjà hallucinant, c’est le même déséquilibre que dans la propriété immobilière. Bref, l’Art et le capital, toute une histoire.
Ceci crée une sensation intime majoritairement répandue dans ce milieu : «  vivre » de son métier d’artiste, c’est une grande chance, et une réussite sociale. La plupart d’entre nous n’avons pas d’autres cordes à notre arc, et nous vivons dans la peur de devoir renoncer à notre métier (et à nos cercles sociaux car nous évoluons dans ces milieux souvent depuis l’adolescence) « si ça ne marche pas pour nous ». Inutile de te l’apprendre, la peur peut convertir des foules à à peu près tout. Multiplie cette peur par le nombre d’oppressions subies par une personne, dans ce cas un.e artiste queer ou féministe alliée qui a connu la précarité, l’inconsistance des lois à son endroit, l’invisibilité des minorités politiques voire des violences.
À mon sens, cette réalité peut expliquer ce que j’ai lu dans le portrait de Libé du 10 septembre, recent interview of Rebeka Warrior, for the release of her book Toutes les vies (All Lives) at Stock:
À ceux qui voient une contradiction entre les engagements féministes et queer d’une personnalité estampillée punk, anticapitaliste et sa maison d’édition passée sous la houlette du milliardaire conservateur Vincent Bolloré, elle rétorque être «une artiste avant tout», jouant avec «les cartes du monde sous sa forme actuelle». Fataliste : «A la tête de presque toutes les grandes entreprises aujourd’hui, il y a des gens que je ne peux pas blairer…» Rebeka Warrior se figure en «intrus dans la maison, luttant de l’intérieur. Mon récit est queer. Plus les gens le lisent, plus je fais avancer mes idées».

Sauf que pour chaque livre de Rebeka Warrior qui sera vendu, le groupe Bolloré touchera plus du double qu’elle.

Je suis d’accord avec Rebeka Warrior sur son constat : le patriarcat impérialiste a la main mise sur les grandes entreprises, éditoriales et médiatiques. Je ne suis pas d’accord avec ses conclusions pour autant.

Face à nos peurs et nos agitations d’auteurices dans le paysage décrit plus haut, la voix d’Audre Lorde martèle, prophétique : Les outils du maître ne démantèleront jamais la maison du maître.
Je trouve cela attendu et justifié que notre communauté nous demande des comptes face à nos contradictions. Moi aussi je flippe hein. L’argent est une angoisse constante, et je me bats en permanence avec mes propres discordances. Le nombre de discussions que j’ai eues avec Sabrina Calvo et des camarades avant de signer Hacker la peau au Lombard… Sans évoquer que je viens d’avoir 40 ans… le monde éditorial que j’ai connu à mes débuts est en train de changer à toute vitesse.
Personnellement je suis très attaché au fait que l’artiste a une responsabilité morale, car iel est celui et celle qui ouvre le champ de l’imaginaire et des possibles. Mais lorsque l’artiste est queer ou féministe alliée, ayant connu la précarité, l’inconsistance des lois à son endroit, l’invisibilité des minorités politiques et les violences, et que cette artiste est délaissé.e par l’Etat, comment ne pas céder à la peur ? Qu’en est-il de la responsabilité collective envers les artistes ? Passeriez-vous une vie sans art ? Sans musique, sans image, sans film ou série, sans lire, sans vêtement ou objet de créateurices, sans festival, etc. Personne ne voudrait vivre sans art, mais trop peu de gens se battent à nos côtés pour nos droits. Je peux comprendre que dans ces conditions, des artistes queers/féministes choisissent de prendre la thune où elle se présente. Après tout, l’intégrité se manifeste en nous plus comme une relation en miroir qu’une individualité. Qui s’est senti trahi par l’autre en premier dans cette histoire ? Vraie question.

Bref, c’est complexe, mais aussi… simple.
Le monde éditorial et médiatique change, c’est indéniable. Il nous reste des alternatives, certes imparfaites (l’édition dite indépendante et les coopératives d’auteurices ont leur lot de casseroles et de difficultés) mais qui sont les seules voies possibles vers la chute de l’empire normatif qui broie nos diversités et nos amours. C’est bien parce qu’on est usé.e jusqu’à l’échine par nos vieux traumas et par les lacrymos qu’on a créé NOS espaces, nos maisons, nos cultures. Y’a suffisamment de butchs couteaux suisses (♡) parmi nous pour faire pareil avec le monde éditorial et médiatique.
C’est pour ça que je dis que ça peut être simple. Parce qu’on a les gouines, nous.
Sérieusement, le pouvoir du boycott… Ils le savent bien en face.
Boycott Hachette, comrade.

 

Photo faite lors de mon dernier voyage à Bologna, non libre de droits.

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